le cygne et le rat
Ecoutez, écoutez, braves gens la triste histoire d'Henrietta
Swan Leavitt, le vilain petit canard de l'astronomie moderne.

Lorsqu'elle vient au monde, en 1868, c'est dans une famille puritaine
où l'ambiance générale n'était pas à
la franche rigolade. A l'âge de 25 ans, elle est atteinte
d'une maladie qui la laissera sourde jusqu'à la fin de ses
jours.
Enfermée dans son silence intérieur, Henrietta Swan
se tourne alors vers le silence des étoiles. Engagée
à l'observatoire du collège Harvard de Cambridge par
Edward Pickering, notre petit canard malchanceux de l'astronomie
commence par analyser des milliers de plaques photographiques afin
d'en évaluer la magnitude des étoiles. Elle profite
de cette tache ingrate pour découvrir 2400 étoiles
variables, soit la moitié de celles connues à son
époque.

C'est en étudiant les plaques photographiques des Nuages
de Magellan, que vient de lui adresser l'observatoire péruvien
d'Arequipa, qu'Henrietta y repère 16 étoiles variables
analogues à celle découverte en 1786 par l'astronome
anglais John Goodricke dans la constellation de Céphée.
Mais Henrietta découvre encore plus fort : il existe une
relation mathématique entre la luminosité intrinsèque
de ces étoiles et leur période de pulsation. Immédiatement,
Henrietta comprend que cette précieuse particularité
de ces céphéides permet d'en déduire la distance.
Hélas, Edward Pickering la dissuade de poursuivre ses recherches.
Tout d'abord, parce qu'il lui semble inconcevable qu'une femme puisse
faire une telle découverte... Pour Pickering, les aptitudes
intellectuelles "naturelles" des femmes les destinent
à des taches répétitives, comme analyser des
plaques photographiques, mais en aucun cas à en interpréter
les résultats et encore moins à élaborer des
théories !

Pickering, salaud ! Le peuple aura ta peau !
Mais Pickering, outre sa misogynie de bas étage, est aussi
un vieux rat exploiteur : sachant que ses assistantes féminines
sont infiniment moins payées que leurs collègues hommes,
Pickering fait tout son possible pour leur barrer toute promotion
afin de les garder plus longtemps à son service ! On a ainsi
longtemps glosé sur le "harem de Pickering"...

Même l'histoire ne retiendra pas le nom d'Henrietta Swan
puisque sa découverte sera rebaptisée pudiquement
"relation période-luminosité". Ses travaux
seront ensuite repris par l'astronome danois Ejnar Hertzsprung et
par l'américain Harlow Shapley qui vont procéder en
1918 à l'étalonnage des céphéides afin
de les utiliser pour calculer les distances des étoiles.
Harlow Shapley sera ainsi le premier à donner une bonne évaluation
de la distance des nuages de Magellan, estimée à 100
000 années-lumière.
Ce sont également ces céphéides qui permettront
à Edwin Hubble d'établir de façon irréfutable
l'existence de galaxies extérieures à la nôtre.
Hélas, Henrietta Swan Leavitt ne verra pas cet éclatant
succès, emportée le 12 décembre 1921 par un
cancer, à l'âge de 53 ans. Aucun prix, Nobel ou autre,
n'est jamais venu rendre justice à Madame Leavitt ...
Mais nous, on l'aime bien notre vilain petit canard dont le travail
studieux a fait d'elle l'un des cygnes de l'astronomie.
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