ECLIPSE DANS LA BANLIEUE D'URANUS

Après son passage au plus près de la Terre le 15 Août 2001 (2 836 988 966 km ...) la planète Uranus a offert une observation sportive aux astronomes amateurs ce mois de septembre 2001 ! Un phénomène rarissime :

le samedi 8 septembre, à 01 H 55 TU, Titania, la principale des lunes d'Uranus, est venue occulter la petite étoile SAO 164 538

Mais avant que le bal ne commence, faisons les présentations :

LA PLANETE URANUS

Uranus est la 7ème planète du système solaire. Avec ses 51 118 km de diamètre, cette boule de roches et de glace recouverte d'une épaisse atmosphère, est la plus grosse planète du système solaire, après Jupiter et Saturne

Uranus (Ouranos pour les grecs) est le dieu du ciel et le fils de la Terre, Gaïa, dont il devint l'époux. Ben oui, les dieux de l'antiquité avaient des moeurs bizarres, c'est un peu la famille "tuyau de poële" ! Remarquez, le fait d'avoir épousé sa mère ne lui a pas porté chance à ce pauvre Uranus, puisqu'il a fini par se faire castrer par son propre fils, Saturne (le Kronos des grecs), non sans avoir eu le temps cependant de faire des gosses, plutôt tarés à vrai dire : les géants, monstrueux et à la force surhumaine, les cyclopes et leur oeil unique. Bref, bonjour la famille ...

Au télescope, avec un grossissement x 100, vous ne distinguerez d'Uranus qu'une jolie petite bille bleutée mesurant 4 secondes d'arc : Uranus, dotée d'une épaisse atmosphère d'hydrogène (83 %), d'hélium (15 %) et de méthane (2 %), est bien trop éloignée, 2 870 990 000 km, pour qu'un télescope amateur puisse y montrer le moindre détail. Avec un gros télescope, de plus de 300 mm de diamètre, vous ne parviendrez pas à en voir beaucoup plus que sur la photo ci-dessous :

Uranus et ses satellites Umbriel, Titania et Oberon

Même les images envoyées par la sonde spatiale Voyager 2 en 1986 ne montrent pas grand chose de plus de cette planète gazeuse :

Photo NASA / Voyager

On sait cependant, grâce à la sonde Voyager, qu'Uranus possède des anneaux, comme les autres planètes géantes Jupiter, Saturne et Neptune.

Bizarrerie d'Uranus : pour des raisons encore inconnues, son axe de rotation est couché à l'horizontale. Est-ce là le fruit d'une collision cataclysmique au moment de la naissance du système solaire ? Mystère ...

TITANIA

Découverte en 1787 par Herschel, Titania est la plus grosse des lunes d'Uranus, avec un diamètre de 1578 km. Dans la pièce de théâtre "Le songe d'une nuit d'été", de William Shakespeare, Titania est la femme d'Obéron et la reine des fées. D'une façon générale, tous les satellites d'Uranus se sont vus attribuer les noms de personnages créés par Shakespeare.

photo NASA / Voyager

La surface de Titania est formée de cratères et de vallées de plusieurs centaines de kilomètres de long. Les astronomes pensent qu'il y a bien longtemps, Titania a été assez chaude pour être liquide. Puis sa surface s'est refroidie, bloquant l'expansion de l'intérieur de l'astre, ce qui a entraîné des craquements de sa croûte, à l'origine du profond et complexe système de vallées décrit ci-dessus

SAO 164538

Quant à SAO 164538, il s'agit d'une étoile géante, 15 fois plus grosse que le Soleil, mais située à 554 années-lumière de nous, ce qui explique sa faible magnitude visuelle, 7.2. Elle est recensée dans plusieurs autres catalogues d'étoiles où elle est connue sous les noms de HD 205829, GC 30276, GSC 05799-01022, IRAS 21354-1508, TYC 5799 1022 1, ZC 3167, HIC 106829, PMC 90-93 6284, SKY 41252, uvby 98 100205829, HIP 106829, PPM 239128, SRS 16903, YZ 1058137. Ses coordonnées dans le ciel sont : 21 H 38 mn 14 s d'ascension droite et - 14 degrés 54 mn 3 sec de déclinaison. Si avec tous ces renseignements votre atlas du ciel ne trouve pas l'étoile, c'est que vous avez confondu votre atlas avec les pages jaunes de l'annuaire. En ce cas laissez tomber l'astronomie pour vous mettre au tricot !

CE QUI S'EST PASSE LE 8 SEPTEMBRE 2001

C'est en décembre 1999 que Jean Meeus, le responsable de la Société Astronomique de France chargé d'élaborer les éphémérides, s'est aperçu de cette occultation exceptionnelle. Parallèlement, le phénomène a été redécouvert cet hiver par l'argentin Martinez. Et en juillet dernier, la revue Astronomie Magazine diffusait la nouvelle plus largement au sein de la communauté des astronomes amateurs dans un article d'un mystérieux astronome masqué, dont seules les initiales sont connues, C. M., mais dont nous sommes parvenus à percer l'anonymat.

Ce qui s'est passé est très simple à comprendre : lorsque Titania est passée devant l'étoile SAO 164 538, cette dernière s'est tout bêtement éteinte, en l'espace de 0.54 secondes, et a donc disparu du champ de vision des observateurs.

Ce phénomène tout bête était attendu avec impatience par les astronomes du monde entier. Tout d'abord parce que les dimensions de Titania, ainsi que les distances séparant les différents satellites d'Uranus ne sont pas encore connues avec une totale précision. La forme elle-même de Titania semble relativement biscornue, plutôt sphéroïde (en clair, une grosse patate arrondie ...). Les astronomes se demandaient aussi si Titania ne possèderait pas une atmosphère. L'heure précise de disparition et de réapparition de l'étoile, la façon dont elle allait "s'éteindre" constituaient autant de paramètres qui allaient permettre d'en apprendre un peu plus sur Titania. Voyons comment :

Cette occultation d'une étoile est produite par le même mécanisme qu'une éclipse totale de Soleil, sauf que là, ce n'est pas la Lune qui est venue s'intercaler entre la Terre et le Soleil, mais Titania qui est passée entre nous et l'étoile SAO 164 538 : Titania a ainsi projeté sur le globe terrestre son ombre, de 1580 km de diamètre environ, qui est venue balayer la surface de la Terre en une dizaine de minutes. Il y a donc eu, comme pour les éclipses de Soleil, une bande de totalité sur laquelle il fallait se trouver pour pouvoir observer le phénomène.

Mais la bande de totalité ci-dessus n'est que théorique : selon la forme et la taille réelles de Titania, la bande de totalité pouvait très bien ne pas avoir la largeur prévue et l'occultation de SAO 164538 pouvait très bien n'être visible que 700 km plus au Nord ou bien 700 km plus au Sud. Les astronomes professionnels comptaient donc beaucoup sur les amateurs pour multiplier les observations le long de cette bande de totalité afin d'en déduire avec précision les caractéristiques morphologiques exactes de Titania.

De même, la façon dont Titania a "éteint" l'étoile SAO 164 538 a permis aux astronomes de savoir si Titania est entourée d'une atmosphère : si c'était le cas, la diffusion de la lumière de l'étoile au travers de cette atmosphère aurait dû entraîner une baisse progressive de la luminosité de l'étoile (schéma 2 ci-dessous). Au contraire, si Titania est dépourvue de toute atmosphère, la disparition et la réapparition de SAO 164 538 devaient être très brutales (schéma 1 ci-dessous). Les amateurs équipés d'une caméra CCD ont pu mesurer cette courbe de lumière et ont pu apporter ainsi de précieux renseignements astrophotométriques aux astronomes professionnels, confirmant l'absence d'atmosphère autour de Titania.

Plusieurs amateurs sont parvenus à filmer cette occultation. Vous pouvez télécharger un petit film de cet évènement (1.69 Mo, soit environ 10 mn de téléchargement), réaliser avec une caméra numérique toute bête, sur le site Internet de Christophe Marlot

Comment aider les astronomes professionnels

Vous retrouverez ci-dessous tous les conseils techniques, ainsi que les liens vers les logiciels d'aide adéquats, qui ont été mis en oeuvre lors de l'occultation du 8 septembre 2001. Une façon de mieux comprendre comment le film ci-dessus a pu être réalisé. Et, éventuellement, une bonne "check list" toute prête à resservir pour une future occultation ...

Pour éviter de vous faire piéger, commencez toujours par faire des repérages une ou deux nuits avant l'occultation : en effet, à 1 H 55 TU, dans la nuit du 7 au 8 septembre, Uranus était très basse sur l'horizon (10 degrés 58 mn au-dessus de l'horizon à Fécamp) et aurait très bien pu être cachée par une colline, des arbres, etc ...

Il faut commencer par mettre en station très soigneusement votre télescope. Munissez vous d'un chronomètre que vous synchroniserez très précisément sur l'heure de l'horloge parlante (numéro de téléphone : 3699), ou bien sur un GPS.

L'emploi d'une horloge radio-pilotée ( il y a un récepteur à l'intérieur, branchésur l'émetteur d'une horloge atomique basée en Allemagne) peut être utile mais la précision n'en est pas absolument certaine car ce type d'horloge n'est pas connecté en permanence sur le signal émetteur et une dérive peut se produire entre-temps ....

En tout état de cause, la pire des choses serait de se brancher sur l'horloge parlante au moyen d'un téléphone portable : l'expérience a déjà été tentée, dans l'hilarité générale, puisque SFR donnait l'heure avec 6 minutes d'AVANCE !!!

Côté télescope, pas d'exigence particulière : même une petite lunette de 80 mm de diamètre, avec un grossissement x 25, permettra de voir l'occultation. Bien sûr, si vous disposez d'un télescope plus puissant, l'image n'en sera que meilleure, avec un grossissement x 50 qui sera bien plus confortable

Pour être sûr de ne pas louper le phénomène, commencez votre observation 10 minutes avant l'heure prévue, soit vers 01 H 45 TU (3 H 45 heure légale d'été)

Puis notez soigneusement avec votre chronomètre l'heure de l'immersion de l'étoile SAO 164538, c'est à dire l'heure de sa disparition, puis l'heure de son émersion, c'est à dire de sa réapparition

Pour les utilisateurs de caméras CCD et de webcams, tenez compte du décalage qui peut se produire entre le moment de l'acquisition de l'image par votre ordinateur et son affichage à l'écran. Le mieux serait que votre ordinateur dispose d'une carte horloge qui se recale en permanence sur l'heure radio-pilotée du GPS, quoique, aux dires de certains spécialistes, il puisse y avoir une dérive entre l'heure affichée par votre ordinateur et l'heure réelle

Quant aux amateurs disposant d'une vidéo, le "time code" sera facilement synchronisable avec le Temps Universel en enregistrant tout bêtement sur la piste-son les signaux de l'horloge parlante (en laissant le téléphone, en mode haut parleur, connecté au 3699)

Concernant les vidéos, certains amateurs, comme Pierre Dubreuil et Christophe Marlot ont pu obtenir très facilement des images avec des moyens assez peu sophistiqués : une webcam ou un camescope numérique familial par projection au travers d'une toute petite lunette astronomique de 80 mm de diamètre et de 400 mm de focale ! Bien sûr, la courbe de luminosité n'est pas exploitable sur de tels montages, mais par contre, pas de difficultés pour observer l'occultation et son "timing". Allez, le 8 septembre, il y aura du plaisir à prendre pour tout le monde !

Attention cependant à bien régler votre webcam ou votre camescope : sachant que l'étoile SAO 164 538 disparaîtra en 0.5 secondes environ, une cadence de 3 à 5 images/seconde est un strict minimum. Au-delà, votre film serait inexploitable sur le plan scientifique. 25 images/seconde serait un luxe appréciable.

Le petit logiciel astrosnap permet de régler la cadence d'acquisition des images avec une webcam. N'hésitez pas à le télécharger. En définissant un cadre de 250, le soft a pu enregistré sur un test récent 99 images de 138 ko par minute, ce qui fait une image toutes les 0.6 secondes, ces essais ayant été faits avec un télescope Célestron de 127 mm de diamètre et de focale 1250 mm, associé à une webcam Philips Vesta Pro réglée à 5 img/sec, pose 1/7 sec, gain à 85% et le reste à 50%.

La revue "Ciel et Espace" de ce mois de septembre 2001 conseillait aux amateurs de se faire la main et de multiplier les tests de leur matériel durant les jours à venir sur l'étoile double SAO 10 937 (ascension droite = 0 H 2 mn 36 s et déclinaison = 66 degrés 5 mn 56 s) située dans la constellation de Cassiopée. Il s'agit d'une jolie étoile double de couleurs bleue et rouge, brillante, bien contrastée. Séparées de 15.2 secondes d'arc, les deux composantes de cette étoile double simulent d'autant mieux l'aspect qu'auront Uranus et l'étoile que Titania doit occulter, que les magnitudes sont presque les mêmes.

Dernier point important : ne retraitez surtout pas vos images, sous quelque logiciel que ce soit ! Ce qui intéresse les scientifiques, ce sont vos images BRUTES. Les formats AVI, FITS, FIT et BMP doivent les seuls employés. Surtout pas de formats d'images compressées, type JPEG !

Vous communiquerez ensuite les résultats de vos observations à l'astronome Bruno Sicardy :

- soit par Email : Bruno.Sicardy@obspm.fr

- soit par courrier : DESPA, télescope de 1 mètre, numéro 10, observatoire de Paris, section de Meudon, 5 place Jules Janssen, 92195 Meudon Cédex.

Vous devrez mentionner IMPERATIVEMENT :

Si vous ne connaissez pas votre latitude et votre longitude exactes, connectez-vous au site :

http://www.calle.com/world/france/

Pour en savoir plus sur cette campagne d'observation internationale, vous pouvez vous connecter sur le site américain suivant :

http://www.lpl.arizona.edu/~rhill/planocc/titania.html

ou bien achetez le numéro de septembre 2001 de la revue "Ciel et Espace", dont l'article de Philippe Henarejos est très bien documenté sur la question

Pour obtenir une simulation de l'évènement, connectez-vous sur le site de la NASA :

http://ringmaster.arc.nasa.gov/tools/tools.html

Enfin si la recherche en astronomie ne vous tente pas plus que çà, ou bien si vous ne disposez pas d'un télescope assez précis pour mesurer l'occultation de ce 8 septembre, faites-vous plaisir, tout simplement, en admirant ce joli clin d'oeil d'une lointaine étoile.

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